Une littérature discrète, mais en plein essor, s’inquiète de l’épuisement mental et de l’anxiété dont témoignent les scientifiques travaillant dans le domaine du climat et de l’environnement. Le fait de savoir quelque chose des catastrophes à venir, sans avoir les moyens d’agir pour les éviter, apparaît comme un élément central de leur malaise. Mais dire cela ne dit pas grand-chose des mécanismes à l’œuvre, dans l’entrecroisement de la vie psychique aux pratiques sociales, pour transformer des chercheurs aimant chercher, en experts angoissés. Cet article propose d’approfondir l’examen en s’appuyant sur l’expérience des scientifiques spécialistes de l’observation des phénomènes naturels dangereux, confrontés de longue date à la perspective de la catastrophe. Mobilisant les méthodes de l’enquête sociologique et de l’analyse de discours, il donne à voir la manière dont différentes logiques, discours et injonctions s’entremêlent jusqu’à rendre intenable la position subjective du chercheur placé en situation d’expertise. La catastrophe, hybride et complexe par nature, le confronte aux limites de son propre savoir et, plus généralement, à celles du projet scientifique moderne.